le nom de la rose
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le nom de la rose
est-ce que quelqu'un comprend pourquoi ce livre s'appelle comme ça ?
marion- Admin
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Date d'inscription : 10/01/2006
Re: le nom de la rose
Voici le tout début de l'essai d'Umberto Eco, Apostille au Nom de la Rose, à propos de son propre roman
"Le titre et le sens
Depuis que j'ai écrit Le Nom de la rose, je reçois de nombreuses lettres de lecteurs, la plupart pour me demander ce que signifie l'hexamètre latin final [Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus] et comment il a engendré le titre. Invariablement, je réponds qu'il s'agit d'un vers tiré de De contemptu mundi de Bernard de Morlaix, un bénédictin du XIIe siècle, qui s'est livré à des variations sur le thème de l'ubi sunt (d'où a dérivé par la suite le mais où sont les neiges d'antan de Villon) et a rajouté au topos courant (les grands de jadis, les villes célèbres, les belles princesses, le néant où tout finit par s'évanouir) l'idée que, bien que toutes les choses disparaissent, nous conservons d'elles de purs noms.
Je rappelle aussi qu'Abélard utilisait l'exemple de l'énoncé nulla rosa est pour montrer à quel point le langage pouvait tout autant parler des choses abolies que des choses inexistantes. Après quoi, je laisse le lecteur tirer ses conclusions, considérant qu'un narrateur n'a pas à fournir d'interprétations à son oeuvre, sinon ce ne serait pas la peine
d'écrire des romans, étant donné qu'ils sont, par excellence, des machines à générer de l'interprétation. Seulement voilà, tous ces beaux propos pleins de virtuosité achoppent sur un obstacle incontournable : un roman doit avoir un titre.
Or, un titre est déjà - malheureusement - une clef interprétative. On ne peut échapper aux suggestions générées par Le Rouge et le Noir ou par Guerre et Paix. Les titres les plus respectueux du lecteur sont ceux qui se réduisent au seul nom du héros éponyme, comme David Copperfield ou Robinson Crusoé ; et encore, la référence à l'éponyme peut constituer une ingérence abusive de la part de l'auteur. Le Père Goriot attire l'attention sur la figure du vieux père, alors que le roman est aussi l'épopée de Rastignac ou de Vautrin alias Collin.
Peut-être faudrait-il être honnêtement malhonnête comme Dumas, dont Les Trois Mousquetaires sont l'histoire d'un quatuor. Mais ce sont là des luxes rares que l'auteur ne peut se permettre que par erreur.
En fait, mon roman avait un autre titre de travail, L'Abbaye du crime.
Je l'ai écarté parce qu'il insiste sur la seule trame policière et ainsi pouvait indûment amener d'infortunés acquéreurs, friands d'histoire et d'action, à se précipiter sur un livre qui les aurait déçus. Mon rêve était d'intituler le livre Adso de Melk. Titre très neutre, car après tout Adso était la voix du récit. Mais en Italie, les éditeurs n'aiment pas les noms propres [...].
L'idée du Nom de la rose me vint quasiment par hasard et elle me plut parce que la rose est une figure symbolique tellement chargée de significations qu'elle finit par n'en avoir plus aucune, ou presque : la rose mystique, et rose elle a vécu ce que vivent les roses, la guerre des Deux Roses, une rose est une rose est une rose est une rose, les rose-croix, merci de ces magnifiques roses, la vie en rose. Le lecteur était désorienté, il ne pouvait choisir une interprétation ; et même s'il saisissait les possibles lectures nominalistes du vers final, quand justement il arrivait à lui, il avait déjà fait Dieu sait quels autres choix. Un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader.
Rien ne console plus l'auteur d'un roman que de découvrir les lectures auxquelles il n'avait pas pensé et que les lecteurs lui suggèrent. Quand j'écrivais des ouvrages théoriques, mon attitude envers les critiques était de nature "judiciaire" : ont-ils compris ou non ce que je voulais dire ? Avec un roman, c'est complètement différent. Je ne dis pas que l'auteur ne puisse découvrir une lecture qui lui semble aberrante, mais dans tous les cas il devrait se taire : aux autres de la contester, texte en main. Pour le reste, la grande majorité des lecteurs fait découvrir des effets de sens auxquels on n'a pas pensé. [...]"
"Le titre et le sens
Depuis que j'ai écrit Le Nom de la rose, je reçois de nombreuses lettres de lecteurs, la plupart pour me demander ce que signifie l'hexamètre latin final [Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus] et comment il a engendré le titre. Invariablement, je réponds qu'il s'agit d'un vers tiré de De contemptu mundi de Bernard de Morlaix, un bénédictin du XIIe siècle, qui s'est livré à des variations sur le thème de l'ubi sunt (d'où a dérivé par la suite le mais où sont les neiges d'antan de Villon) et a rajouté au topos courant (les grands de jadis, les villes célèbres, les belles princesses, le néant où tout finit par s'évanouir) l'idée que, bien que toutes les choses disparaissent, nous conservons d'elles de purs noms.
Je rappelle aussi qu'Abélard utilisait l'exemple de l'énoncé nulla rosa est pour montrer à quel point le langage pouvait tout autant parler des choses abolies que des choses inexistantes. Après quoi, je laisse le lecteur tirer ses conclusions, considérant qu'un narrateur n'a pas à fournir d'interprétations à son oeuvre, sinon ce ne serait pas la peine
d'écrire des romans, étant donné qu'ils sont, par excellence, des machines à générer de l'interprétation. Seulement voilà, tous ces beaux propos pleins de virtuosité achoppent sur un obstacle incontournable : un roman doit avoir un titre.
Or, un titre est déjà - malheureusement - une clef interprétative. On ne peut échapper aux suggestions générées par Le Rouge et le Noir ou par Guerre et Paix. Les titres les plus respectueux du lecteur sont ceux qui se réduisent au seul nom du héros éponyme, comme David Copperfield ou Robinson Crusoé ; et encore, la référence à l'éponyme peut constituer une ingérence abusive de la part de l'auteur. Le Père Goriot attire l'attention sur la figure du vieux père, alors que le roman est aussi l'épopée de Rastignac ou de Vautrin alias Collin.
Peut-être faudrait-il être honnêtement malhonnête comme Dumas, dont Les Trois Mousquetaires sont l'histoire d'un quatuor. Mais ce sont là des luxes rares que l'auteur ne peut se permettre que par erreur.
En fait, mon roman avait un autre titre de travail, L'Abbaye du crime.
Je l'ai écarté parce qu'il insiste sur la seule trame policière et ainsi pouvait indûment amener d'infortunés acquéreurs, friands d'histoire et d'action, à se précipiter sur un livre qui les aurait déçus. Mon rêve était d'intituler le livre Adso de Melk. Titre très neutre, car après tout Adso était la voix du récit. Mais en Italie, les éditeurs n'aiment pas les noms propres [...].
L'idée du Nom de la rose me vint quasiment par hasard et elle me plut parce que la rose est une figure symbolique tellement chargée de significations qu'elle finit par n'en avoir plus aucune, ou presque : la rose mystique, et rose elle a vécu ce que vivent les roses, la guerre des Deux Roses, une rose est une rose est une rose est une rose, les rose-croix, merci de ces magnifiques roses, la vie en rose. Le lecteur était désorienté, il ne pouvait choisir une interprétation ; et même s'il saisissait les possibles lectures nominalistes du vers final, quand justement il arrivait à lui, il avait déjà fait Dieu sait quels autres choix. Un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader.
Rien ne console plus l'auteur d'un roman que de découvrir les lectures auxquelles il n'avait pas pensé et que les lecteurs lui suggèrent. Quand j'écrivais des ouvrages théoriques, mon attitude envers les critiques était de nature "judiciaire" : ont-ils compris ou non ce que je voulais dire ? Avec un roman, c'est complètement différent. Je ne dis pas que l'auteur ne puisse découvrir une lecture qui lui semble aberrante, mais dans tous les cas il devrait se taire : aux autres de la contester, texte en main. Pour le reste, la grande majorité des lecteurs fait découvrir des effets de sens auxquels on n'a pas pensé. [...]"
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